Dans l'ombre de Mary : les studios Disney à l'heure des confidences

Diane Zeigler
5 Mars 2014


Dans l'ombre de Mary - La Promesse de Walt Disney (version française du titre américain Saving Mr. Banks) sort aujourd'hui dans les salles. Entre mélange de genres et traitement « bon enfant », le réalisateur John Lee Hancock signe une de ces plus belles œuvres. Voici « l'histoire vraie » de la légendaire gouvernante anglaise.


Dans l'ombre de Mary raconte la création par Walt Disney et ses débuts difficiles qui ont abouti à la réalisation du film-culte Mary Poppins (1964) tiré du roman de Pamela Lyndon Travers.
Les studios Disney plongent pour la première fois dans leur propre histoire. Le film, signé John Lee Hancock (Rêve de champion, Alamo, The Blind Side) retrace les deux semaines trépidantes au cours desquelles P.L. Travers se rend aux Studios Disney en 1961, pour travailler sur l'éventuelle adaptation de Mary Poppins, dont elle a publié les premières aventures en 1934.

Entre faste hollywoodien et modestie à l'anglaise

Ce film, classique, puissant, romanesque et élégant, offre à l'actrice britannique Emma Thompson, nominée pour ce rôle aux Golden Globes et aux trophées du Syndicat américain des Acteurs (SAG), un rôle de revêche et rombière acariâtre au tailleur strict. Pour nourrir son personnage, Thompson s'est inspirée de la biographie de Helen Lyndon Goff. L' enfance de l'auteure exceptionnellement atypique témoigne de la savoureuse complexité du personnage de Mary Poppins.

Pendant près de vingt ans, Walt Disney, interprété par Tom Hanks, n'avait jamais cessé de courir après l'écrivain P.L. Travers, farouchement opposée à abandonner sa série à l'art cinématographique. Il voulait obtenir d'elle les droits d'adaptation des aventures de la merveilleuse gouvernante au légendaire parapluie. Dès lors, afin de gagner la confiance de P.L. Travers, il l'invite à collaborer avec les auteurs-compositeurs Robert et Richard Sherman... Grave erreur ! L'écrivain va très vite manifester une profonde hostilité envers ce monde peuplé de peluches et de pingouins.

L'accent porté sur la forte personnalité de Travers et sur le pathos (le dilemme pour l'auteure d'abandonner sa création littéraire) donne au film un relief très particulier. Le spectateur savoure l'entre-choc irrésistible de deux caractères incompatibles. D'un côté, Walt Disney, le créateur de Mickey, apprécié de tout Hollywood, est présenté comme un homme obsessionnel et égoïste. Quant à Pamela Travers, elle dévoile son espièglerie inégalable. Pourtant, ce film illustre habillement l'acharnement et la persévérance dont peut faire preuve un producteur lorsqu'il veut mener un projet à bien.

Mary Poppins est née 

Par le biais de flash back, les spectateurs découvrent P.L. Travers enfant, vivant en Australie avec un père, Colin Farrell à l’écran, banquier rêveur et alcoolique chronique. La jeune fille éprouve une admiration sans limites envers cette présence à la fois paternelle et immature. Dans l'ombre de Mary met en lumière l'impossible abandon de l'insouciance de l'enfance face à la maturité du monde adulte qui s'avère parfois terriblement banal et cynique.

Inspiré des multiples anecdotes croustillantes de Richard M. Sherman, dernier survivant du duo des compositeurs des chansons mémorables de Mary Poppins, le réalisateur donne à voir un film séduisant sans pour autant être exact dans les faits. Le talent ingénieux de John Hancock permet de cultiver la subtilité, la nuance et l'humour d'une telle manière que le film se moque de tous ces clichés Disney sans pour autant tomber dans la dérision. Dès lors, le voile des apparences se lève et laisse transparaître des blessures encore ouvertes qui rapprochent peu à peu les deux protagonistes. Sur fond d'airs entêtants (qui ont valu les Oscars de la Meilleure Musique et de la Meilleure Chanson), le présent tire un trait sur le passé révolu. Mais, le point d'orgue du film intervient au croisement de deux temporalités : les enfances douloureuses de W. Disney et de P.L. Travers. Ils manifestent tout deux ce besoin inexplicable de retourner en enfance, de la revivre, de l'imaginer, de la parfaire et de l'idéaliser. Poésie, féerie et magie ne sont que les seuls recours qu'ils utilisent à leur façon et sans modération.

Du cinéma sur du cinéma : ce film se voit avec beaucoup de passion et d'intérêt. Rare dans l'histoire du grand écran, Dans l'ombre de Mary est à la fois très nostalgique, émouvant, drôle, piquant et bien dosé … bref, en un mot : Supercalifragilisticexpialidocious !